Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chaire KAWABATA - ASSOCIATION FRANCE JAPON
3 juillet 2011

Lettre d'Hashizume Bun à l'Association France-Japon

Le mardi 10 mai 2011


A mes chers amis,

Comment vont les choses pour vous ?
Je m'excuse de mon long silence.
Je devrais m'excuser de ne pas avoir pu vous envoyer un e-mail plus tôt, mais c'est parce que je ne savais pas bien me servir d'un ordinateur.

J'ai quitté Tokyo et je suis restée à Hiroshima plus de 40 jours. J'ai grandement apprécié vos mails amicaux à propos de ma santé quand l'accident est survenu à la centrale nucléaire de Fukushima.

Quand j'étais à Hiroshima, j'ai été pas mal occupée à parler aux conférences et à donner des interviews pour les médias. J'étais surprise au fond de l’inquiétude démontrée, surtout par les médias français.
L'accident de la centrale nucléaire de Fukushima m'a fait d'autant plus reconnaître ma mission en tant que survivante d'Hiroshima.

En retournant à Tokyo, je me sentais un peu fatiguée, mais je reste égale à moi-même, alors je vous en prie ne soyez pas inquiets.

Je vous souhaites le meilleur.
Laissez-moi vous remettre ci-joint un message que j'ai écrit à Hiroshima.

Avec mes meilleurs sentiments,

Bun.

Hashizume Bun est née en 1931 à Hiroshima. Elle fait partie des rescapés de la bombe atomique tombée sur la ville civile le 6 août 1945. Après la catastrophe, elle a vécu plusieurs années avec sa famille dans des conditions insalubres au milieu des décombres et souffert de diverses maladies suite à une longue exposition aux radiations. Ce n'est qu'en 1995 qu'elle s'est décidée à prendre la plume pour raconter son histoire et celle des survivants de l'explosion atomique, se lançant ainsi dans un combat contre l'énergie nucléaire. Elle est aujourd'hui l'auteur de plusieurs recueils de poèmes, dont certains ont été traduits en langues occidentales, ainsi que d'un récit autobiographique, Le jour où le soleil est tombé... - J'avais quatorze ans à Hiroshima, publié aux Éditions du Cénacle de France en 2007. Elle y décrit la catastrophe ainsi que les années qui l'ont suivie. Mais la volonté d'Hashizume Bun ne s'est pas arrêtée à l'écriture et elle participe à de nombreuses conférences, qu'elle préside parfois elle-même en anglais, pour que les gens connaissent son histoire et sachent quels sont les dangers du nucléaire.

    Après le drame qui s'est produit le 11 mars de cette année au Nord-Est du Japon, elle a décidé de lancer un appel à tous les Japonais et au monde entier pour que rien de semblable ne se reproduise. Elle y parle de son expérience, de ses inquiétudes mais aussi de ce que l'on cache aux populations, notamment au sujet de l'irradiation interne et de la contamination régulière de l'environnement. Cet écrit est destiné avant tout aux victimes de l'accident de Fukushima et aux japonais que les experts ne pensent pas à l'abri d'une nouvelle menace. Il rappelle aussi ce qui s'est déjà produit par le passé tout comme il met en garde contre un nouvel incident. C'est une critique catégorique et justifiée d'une énergie que l'on a longtemps qualifiée comme étant une "énergie propre" et même parfois comme une "énergie idéale".

 

Appel d'Hashizume Bun, rescapée d'Hiroshima,
aux japonais et au monde entier
29 Mars 2011

    Mon nom est Hashizume Bun et je suis une survivante de la bombe atomique d'Hiroshima. Je vis à Tokyo et j'ai maintenant 80 ans. Quand le Grand Séisme de l'Est du Japon a eu lieu le 11 Mars 2011, qui a conduit à la crise de la centrale nucléaire de Fukushima, j'étais en train d'écrire à propos de l'exposition aux radiations générées par la bombe atomique 66 ans plus tôt et à propos de la vie des citoyens d'Hiroshima avant et après l'explosion.

    Si beaucoup de mes écrits sont déjà terminés, j'ai été profondément peinée par l'accident nucléaire de Fukushima et j'ai ressenti le besoin de conclure mes pensées -et partager cette conclusion en anglais, évidemment- en partant du point de vue "privilégié" de rescapée du bombardement atomique d'Hiroshima, ma ville natale.

    Quand le séisme a frappé, j'étais à Tokyo ; de suite, je me suis rendue à Hiroshima. Quand je suis arrivée à la ville de la Bombe A, c'était tard dans la nuit et je sentais un lourd poids peser sur mes épaules. Il m'a fallu un peu de temps pour faire les premiers pas.

    A chaque fois que je retourne à Hiroshima, je vais en premier voir le Mémorial élevé dans le Parc de la Commémoration de la Paix et je parle aux membres de ma famille, mes amis, aux connaissances et aux autres victimes qui ont péri dans l’inimaginable horreur de la bombe atomique. Cette fois, cependant, je leur ai demandé d'écouter mes souhaits, plutôt que ma prière.

S'il vous plait, maintenez ma santé.
S'il vous plait, donnez-moi la force de continuer.
S'il vous plait, guidez-moi, conduisez-moi dans mes efforts.

    Le jour du bombardement atomique, j'ai été exposée aux radiations de la bombe dans un lieu à 1,5 kilomètre de l'épicentre. J'ai été aussi touchée sévèrement, mais j'ai réussi à survivre à l'explosion avec l'aide des autres.

    Après la guerre, j'ai vécu dans un abri de fortune dans la ville calcinée et j'ai souffert de façon aigüe des symptômes de l'irradiation, incluant une forte fièvre, des saignements des gencives, de fortes diarrhées, des vomissements, des boutons violets qui ont recouvert mon corps, et des chutes de cheveux. Ça a été un miracle que je survive une deuxième fois.

    Depuis ce temps, jusqu'à aujourd'hui, j'ai souffert de diverses maladies et je n'ai jamais profité d'un seul jour de pleine santé.

    Parmi toutes les maladies, une a été particulièrement difficile. Le symptôme de cette "Maladie de la Bombe A" est une fatigue incurable. J'ai demandé à mon médecin de me faire sentir de nouveau gaie et pleine d'entrain, même pour un seul jour, pour une seule heure, mais ça n'est jamais arrivé. Quand j'allais le soir me coucher, je priais Dieu : "Ne me laisse pas me réveiller demain."

    Cette insuffisance de santé a été causée par une exposition interne aux radiations de la bombe. Dès que des matières radioactives sont ingérées au travers d'eau, de nourriture ou d'air contaminés, ces substances continuent à être radioactives sans fin, détruisant les cellules du corps et endommageant les gènes. C'est une fatalité que l'on connait toute sa vie.

    Je ne savais pas jusqu'à ma récente visite à Hiroshima que la substance appelée "Césium", qui a été un sujet de discussion courant des médias ces derniers jours, endommage les muscles et induit la terrible "Maladie de la Bombe A".

    Tous ceux qui ont été arrosés par la pluie noire ou qui sont entrés dans la ville pour soutenir les efforts de secours ou pour chercher les disparus sont devenus victimes d'une exposition interne. Et au-delà des survivants de la bombe A, ceux qui ont subi des tests nucléaires ou des accidents de centrales nucléaires sont aussi des victimes d'une exposition interne aux radiations.

    Les informations à propos de l'irradiation interne ont été dissimulées au public pendant longtemps. Depuis l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima, l'expression "exposition interne aux radiations" a finalement été prononcée, mais aucune explication détaillée n'a suivi. Révéler une telle information poserait des problèmes au gouvernement pour la bonne continuité de l'utilisation de l'énergie nucléaire.

    L'énergie nucléaire avait été louée comme étant une "énergie propre", même comme une "énergie idéale", mais cet enthousiasme est quelque peu retombé après les accidents des centrales nucléaires de Tchernobyl et de Three Mile Island. Il y a quelques années, malheureusement, plusieurs nations ont construit des centrales nucléaires et cette ère a été désignée comme une "renaissance" de l'énergie nucléaire. Tandis que je voyais le phénomène s'étendre, je ne pouvais pas aider mais ressentir qu'un jour, pas si éloigné, il y aurait indubitablement un autre accident dans une centrale nucléaire quelque part dans le monde.

    Cet accident est arrivé dans mon propre pays, et la centrale touchée déverse maintenant une importante quantité de matières radioactives dans l'environnement. Il n'existe aucune manière infaillible de l'arrêter, et aucune fin à la crise n'est en vue. Dans la petite nation du Japon, qui souffre de fréquents séismes, plus de 50 réacteurs nucléaires ont été construits. Ces réacteurs nucléaires apparaissent principalement dans des zones dépeuplées, dans des zones sismiques actives.

    Le Grand Séisme de l'Est du Japon a compromis les six réacteurs de la centrale de Fukushima. Des experts avertissent que des séismes de cette magnitude -séismes qui frapperont à proximité d'autres centrales- se produiront encore avec une certitude de 100% dans un futur proche.

    Au peuple du Japon, je demande : allons-nous simplement accepter le fait que le Japon, la nation de la Bombe A, en fin de compte soit la cause d'une catastrophe radioactive à l'échelle mondiale ?

    Le temps est à l'essentiel. Nous devons travailler ensemble pour faire halte aux centrales nucléaires en fonctionnement. Peuple du monde, soyez solidaires et parlez-en autour de vous pour arrêter la construction d'aucune centrale supplémentaire, parlez-en pour faire fermer les portes de chaque centrale nucléaire sur Terre.

    En tant que survivante de la Bombe A, je suis depuis longtemps opposée à l'énergie nucléaire au Japon et à l'échelle internationale. C'est parce que je ne crains pas seulement les bombes atomiques, mais aussi la possibilité qu'un jour l'énergie nucléaire détruise toute forme de vie sur la planète. Même les centrales opérantes libèrent continuellement de petites quantités de matières radioactives dans l'environnement, contaminant les sols, la mer et le ciel. Le danger de ces petites quantités de matières radioactives est dissimulé, lui aussi.

    Les êtres humains ne sont pas simplement des choses vivantes. N'est-ce pas de l'arrogance de la part des êtres humains de sacrifier d'autres êtres vivants simplement pour son propre bénéfice ? Ne serait-il pas plus sage pour les êtres humains de vivre en harmonie avec la Nature ? Le sentiment d'humanité au cours du XX et XXI siècles n'est offert qu'un instant dans la longue histoire de notre espèce. Ce bref instant nous a été légué par nos ancêtres, que nous, en retour, nous léguons à nos descendants.

    Comme les survivants de la Bombe A, les malades des tests nucléaires et des accidents de centrales, les victimes de l'accident de Fukushima vont endurer des souffrances toute leur vie. Les personnes déplacées par les multiples désastres de l'Est du Japon bravent les difficultés dans des abris. Mais même au milieu de telles conditions, les enfants gardent leur innocence et leur espoir et je suis touchée et trouve moi-même de l'espoir en eux.
    L'irradiation cause surtout des dommages sur les enfants et leur croissance. Cependant, le gouvernement japonais et les compagnies d'électricité disent qu'ils persisteront dans la construction de plus de centrales nucléaires au Japon, dans cette petite nation continuellement secouée par des séismes.

    L'irradiation ne respecte aucune frontière. Pour sauver nos enfants, le futur de notre espèce, je demande au peuple du Japon, et aux peuples du monde entier de se lever tous ensemble et de s'opposer à l'avancée de l'énergie nucléaire.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 54 794
Archives
Publicité